Pas facile d'être bi sur Match.com

(Redémarrage ! Plus eu le temps d’écrire depuis un bon moment, mais aussi bien nous sommes ici sur le Biplan, pas sur une chaîne d’info en continu, et c’est très bien comme ça. Du coup, bonne année 2014 à tou-te-s !)

Hier 7 avril, le site d’actualité LGBTIQ britannique PinkNews a publié un article exclusif concernant la branche britannique du site de rencontres Match.com. Selon un courrier envoyé par ce site à un-e utilisateur/-trice bi  (je ne connais pas son nom ou son identité de genre) qui souhaitait pouvoir chercher à la fois des hommes et des femmes sur le site, la seule solution possible consiste à ouvrir deux comptes payants au lieu d’un.

Un mot sur Match.com : les activités européennes de Match.com sont la propriété de la société Meetic depuis 2009 ; de son côté, Match.com est notamment propriétaire d’Okcupid, autre site de rencontres, depuis 2011.

La journaliste Emily Magdji s’est procurée un courrier envoyé par la société à un utilisateur ou une utilisatrice bi qui voulait pouvoir chercher à la fois des hommes et des femmes sur le site. L’article publié sur PinkNews par Nick Duffy le 7 avril 2014 reproduit le texte de ce courrier, dont voici ma traduction :

Hello,

Merci de nous avoir contactés à Match.com.

Nous comprenons que vous êtes bisexuel-le et souhaiteriez pouvoir chercher des hommes et des femmes. Nous sommes désolés que vous ayez pu vous inscrire pour cela et nous ferons de notre mieux pour vous offrir une assistance.

Malheureusement, il n’est pas possible de modifier à volonté les préférences de genre. Les membres bisexuels auraient besoin d’avoir 2 profils. Malheureusement, cela voudrait dire acheter 2 comptes distincts.

Veuillez noter que cela nécessiterait que vous enregistriez ce nouveau compte à l’aide d’une deuxième adresse de courrier électronique. Veuillez accepter nos excuses car nous comprenons que ce n’est pas une solution idéale.

Nous apprécions tous les commentaires et toutes les suggestions, car comprendre mieux nos membres et leurs recherches nous aider à adapter et à améliorer nos services.

Nous avons transmis votre message concernant les besoins spécifiques des membres bisexuels à notre équipe de développement afin qu’il puisse être pris en compte dans les futures mises à jour du site.

Encore une fois, merci d’avoir pris le temps de nous contacter et de nous faire cette suggestion.

Si vous souhaitez nous parler, notre équipe d’Assistance aux clients est disponible pour vous prêter son aide au 020 305 96 495. Les standards sont ouverts de 9h à 18h, du lundi au samedi. Les appels depuis un poste fixe sont normalement tarifés à 10 pence par minute. Pour les appels depuis un téléphone portable, les coûts sont variables.

Le site PinkNews précise que :

– Les packs d’inscription à Match.com coûtent entre 6,49£ et 29,99£ par mois (soit entre 7,5 euros et 34,70 euros environ), ce qui signifie qu’une personne bi qui souhaiterait mettre en pratique la solution proposée devrait débourser jusqu’à 60£ par mois (69,5 euros environ) pour ce service.

– Ce courrier a été envoyé à la personne concernée au mois d’août 2013. Malgré les promesses de mises à jour qu’il contenait, rien n’a changé sur le site à cet égard à l’heure actuelle.

– Une telle réponse est assez surprenante, dans la mesure où, selon PinkNews, Match.com soutient depuis longtemps les utilisateurs et utilisatrices homosexuel-le-s. Visiblement, pour les bi, c’est plus compliqué.

PinkNews a contacté Match.com, qui a répondu par un communiqué publié sur PinkNews le 8 dans l’après-midi. Là encore, je traduis ci-dessous le texte figurant dans l’article :

Tout comme sur un certain nombre de sites de rencontres en Grande-Bretagne, il n’est pas possible de paramétrer un profil pour évaluer à la fois des profils d’hommes et de femmes. Nous pouvons confirmer que nous mettrons à la disposition de vos lecteurs et lectrices deux profils afin qu’ils puissent évaluer à la fois des profils d’hommes et de femmes sur le site. Le second profil sera fourni sans frais supplémentaires pour le membre.

De plus, nous rendrons plus aisée aux utilisateurs bi la navigation sur le site. Tout ce qu’ils ont à faire est de contacter directement l’équipe de notre service clients pour se voir fournir deux profils dans le cadre de leur inscription existante.

Notre équipe d’Assistance aux clients est disponible pour vous prêter son aide au 020 305 96 495. Les standards sont ouverts de 9h à 18h, du lundi au samedi.

Un geste commercial appréciable, mais qui n’est encore qu’une rustine.

Et vous, avez-vous déjà observé des « limitations techniques » de ce genre sur les sites de rencontres ? Qu’en est-il du site Match.com en France et des sites de rencontres français ? (Il me semble qu’à une époque, sur Okcupid, on pouvait s’identifier comme bi, mais pas chercher en même temps des hommes et des femmes. En revanche, il était possible de chercher les uns ou les autres sans changer de compte. Mais je ne sais plus comment c’est maintenant.)

"Je suis bi-furieuse", billet de Léna sur son blog "Un cas IT"

J’ai peu de temps libre en ce moment, d’où l’absence d’articles ces dernières semaines (même si j’en prépare quelques-uns, petit à petit…). Mais j’ai encore le temps de naviguer sur quelques pages, et j’aimerais relayer ici le billet publié par Léna sur son blog « Un cas IT » et intitulé « Je suis bi-furieuse ». C’est une tribune contre le rejet subi par les bi-e-s, tant dans la société en général que dans les milieux LGBTIQ+++. Non seulement elle est bourrée d’arguments et bien écrite, mais elle a une qualité que je n’ai souvent pas : la concision. Bonne lecture et à bientôt !

Quelques actualités bi

Cela fait un moment que je n’ai pas relayé quelques actualités des communautés bi dans le monde, en particulier les communautés américaine ou britannique (dans ma catégorie « English trucs »), alors voici quelques infos rapides, puisque je ne les croise pas dans les médias LGBT français :

La pudibonderie d’Apple, énième épisode

Il y a un peu plus d’un mois, fin juillet 2013, les membres d’un projet pédagogique portant sur l’histoire des LGBT ont lancé sur la plate-forme d’applications d’Apple une application pédagogique pour smartphones appelée Quist. Le 12 août, l’une des développeuses de l’application, Sarah Prager, était occupée à mettre à jour le descriptif de l’application sur la plate-forme iTunes Connect lorsqu’elle a vu s’afficher un message d’avertissement indiquant que le mot « bisexuality » n’était pas recommandé dans une description d’application pédagogique, et que l’application était susceptible d’être refusée par Apple si le mot y était inclus. Autrement dit, « bisexuality » faisait partie de la liste des mots considérés comme vulgaires au même titre que des insultes ou du spam, par exemple. Une liste qui ne correspondait pas vraiment aux déclarations fréquentes d’Apple prompt à se présenter comme une firme LGBT-alliée. Indignés, les concepteurs de Quist ont donc lancé une pétition sur Change.org pour réclamer le retrait du mot « bisexuality » de la liste des termes prohibés sur l’Apple Store. La nouvelle a été relayée sur les sites LGBT anglophones, dont BiMedia. Après plus de 1100 signatures en moins de vingt-quatre heures, Apple a rétropédalé et résolu le problème (article sur BiMedia).

Voyez aussi les articles à ce sujet sur le site LGBT britannique Pink News et sur Queerty.

Le « problème bi » de Google toujours pas résolu aux Etats-Unis

Souvenez-vous : c’était il y a un an, en août 2012, et j’en parlais ici. Faith Cheltenham, présidente de l’association bi américaine BiNetUSA, publiait dans le Huffington Post américain une tribune dénonçant le fait que les fonctionnalités d’auto-complétion et de recherche instantanée, habituellement actives pour n’importe quel terme qu’on entre dans le moteur de recherche Google, ne fonctionnaient pas avec certains mots à thème LGBT, dont « bisexual » et « bisexuality ». Google avait botté en touche en déclarant qu’il s’agissait d’un simple bug dû aux mécanismes de précaution inclus dans le moteur pour éviter les termes souvent associés à des contenus pornographiques. Un argument moyennement convaincant puisque Google a visiblement su résoudre des « problèmes techniques » autrement plus compliqués. Et indéfendable, puisque ces mots ne sont pas des insultes ou des mots vulgaires en eux-mêmes et n’ont donc pas à être systématiquement bloqués. Google avait en tout cas promis de résoudre le problème. Un premier pas avait été fait en septembre 2012, mais seulement pour les internautes américains (article sur le site bi britannique Bimedia.org). Les internautes britanniques rencontraient toujours le même problème.

Un an plus tard, il s’avère que rien n’a changé. Les membres du projet d’histoire LGBT Quist dénoncent le laxisme et la discrimination persistants de Google dans une nouvelle pétition lancée sur Change.org. La nouvelle a été relayée notamment par Bimedia. Le moins qu’on puisse dire est que quelques signatures en plus ne feront pas de mal, alors n’hésitez pas à aller y jeter un œil !

Bientôt le 23 septembre : la journée de la bisexualité partout dans le monde

DrapeauJourneeBiPetitComme chaque année, la fin du mois de septembre sera marqué par la Journée de la bisexualité (en anglais : Bi Visibility Day, « Journée de la visibilité bi ») qui aura lieu le 23 septembre et sera marqué par divers événements organisés partout dans le monde par les communautés bi. Un site web international en anglais est déjà actif. Pour les accros des réseaux sociaux, il y a aussi une page Facebook et un compte Twitter.Le site se donne pour but, comme chaque année, de lister tous les événements prévus dans le monde à cette occasion. La militante bi britannique Jen Yockney a élaboré et posté sur son blog quelques bannières en anglais pour les pages web (ce serait bien qu’on en fasse encore d’autres en français, d’ailleurs).

Aux États-Unis, c’est l’administration Obama qui se fera remarquer par un acte particulièrement bi-friendly, puisque la Maison blanche a prévu de recevoir des représentants de plusieurs associations bisexuelles nationales ou régionales à l’occasion du 23 septembre. Les discussions porteront notamment sur « les problèmes de santé, le HIV et le sida, la violence au sein des couples, la santé mentale et le harcèlement. » (Sources : Amy Andre sur le Huffington Post anglophone et Aamer Madhani sur USA Today.)

MàJ le 01/09/2013 : En France, l’association parisienne Bi’cause organisera une Bi’causerie (réunion-débat) à l’occasion de la journée. Elle aura lieu le soir à 20h au Centre LGBT Paris-Île-de-France, au 61-63 rue Beaubourg, dans le 3e arrondissement (voyez le site du Centre pour les informations pratiques). La réunion devrait durer jusqu’à 22h environ (mais on part quand on veut). Si vous arrivez après 20h, sonnez pour qu’on vous ouvre !

La bisexualité, grande oubliée du débat sur le mariage

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été choqué par la déferlante d’homophobie décomplexée qui a inondé les médias et Internet à l’occasion de la présentation du projet de loi sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, puis de sa discussion à l’Assemblée nationale. J’ai eu de la chance dans la vie et je ne peux pas prétendre avoir été souvent confronté à de l’homophobie directe et violente : la campagne de désinformation pure menée par les opposants au projet de loi a été la première fois où je me suis senti profondément rejeté et détesté à cause de mes attirances et de mes sentiments.

 

Mais, en tant que bisexuel, une violence supplémentaire, plus insidieuse, a été l’absence totale de la moindre mention des personnes bisexuelles dans ce débat. D’emblée, et cela même dans les propos des meilleurs défenseurs du projet (tu quoque Taubira), la loi a été présentée en termes d’ouverture du mariage à une catégorie prédéfinie de personnes qui serait « les homosexuel-le-s ». C’est comme si même les partisans du projet les plus progressistes s’étaient avérés incapables de le porter dans toute son ampleur, dans toute sa grandeur aussi : le fait qu’il ne recourt nulle part à la notion d’orientation sexuelle ou sentimentale, et raisonne uniquement en fonction du sexe des personnes à marier.

 

Je ne répèterai jamais assez à quel point cette approche est une bonne chose, et à quel point les mots sont importants : c’est bel et bien de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe qu’il s’agit, et non d’un quelconque « mariage gay ». Le droit de se marier à une personne du même sexe que soi est un droit que tout le monde va acquérir (même Christine Boutin et André Vingt-Trois, ne leur en déplaise) : ça, ça a été dit, mais personne ne semble avoir osé en tirer les (excellentes) conséquences, à savoir que toutes les citoyennes et tous les citoyens français, sans distinction d’orientation sexuelle/sentimentale, vont avoir désormais la liberté de se marier avec un autre adulte consentant sans distinction de sexe.

 

Le changement principal, le bouleversement, l’incroyable progrès est ici : la loi, techniquement, ignorera désormais le sexe de la personne avec laquelle vous voulez vous marier. Homme ou femme, ce sera le même mariage et (presque : espérons que la suite viendra) les mêmes droits.

 

Il suffit de réfléchir deux secondes pour comprendre à quel point cette loi est incroyablement favorable aux bi et favorable aussi à une conception plus fluide de la vie sexuelle et amoureuse en France. Désormais, non seulement il sera légal d’envisager un amour-toujours avec quelqu’un du même sexe dans le cadre du mariage, tout comme c’était possible jusque là avec une personne de l’autre sexe, mais il sera aussi légal de mener une vie de couple successivement avec un mari puis avec une épouse ou inversement. De plus, la progression déjà nette (même si encore très perfectible) des droits accordés aux couples de même sexe diminue le gouffre qui existait jusque là entre les deux types de couples, ce qui confère une légitimité déjà plus égale à ces deux types de vie de couple : cela réduit en partie la désagréable schizophrénie que j’évoquais parmi les difficultés rencontrés par les bi dans leurs perspectives de vie dans un précédent billet.

 

Alors, pourquoi ne pas avoir parlé ici plus tôt du mariage pour tous ? Je dois dire que j’ai l’impression de m’être fait avoir. D’avoir cédé à la pression imbécile des homophobes (lesquels sont évidemment biphobes sans le savoir puisque leur vision du monde n’inclut même pas la possibilité d’une bisexualité : je suppose qu’on doit être des espèces d’aliens pour eux), et d’avoir laissé les opposants influer sur les termes du débat, nous ramener par leurs propos à une simple défense de l’homosexualité comme on ne devrait plus avoir à en faire, contre des critiques dont l’archaïsme donnait régulièrement dans l’anachronisme.

 

Atterré par ce nivellement du débat, je me suis laissé aller à penser parfois qu’au fond on avait déjà assez de mal à parler des homos sans se faire taper sur la gueule, alors je n’allais pas « en plus » parler des bi. J’ai craint qu’une mise en avant du caractère admirablement progressiste et « bi-friendly » de cette loi ne la rende encore plus compliquée à défendre et ne fasse que donner aux opposants matière à davantage de désinformation et de propagation de clichés.

 

Il est déjà difficile d’être une minorité dans la minorité, de devoir toujours faire l’effort supplémentaire de signaler aux minorités qu’on existe aussi et qu’on aimerait bien avoir pignon sur rue, être inclus nous aussi dans la prise en compte scrupuleuse des différentes sensibilités, des différents modes de vie possibles autres qu’hétéronormés.

 

Mais pendant tout ce débat, je me suis senti littéralement nié dans ce que j’étais. Pas un mot sur la bisexualité, sur l’éventualité même de vivre une vie où l’on peut ressentir du désir et des sentiments aussi bien pour des gens de l’autre sexe que pour des gens du même sexe. Ce n’était même pas qu’on en parlait sur le mode de la critique ou de l’insulte plus ou moins déguisée, comme c’était le cas pour l’homosexualité : on n’en parlait même pas. Ce n’était pas dans les termes du débat. On ne posait même pas la question. Ni les députés, ni les sociologues ou autres universitaires que j’ai pu lire, ni les journalistes n’ont jamais inclus la bisexualité dans cette loi qui concerne pourtant les bi au premier chef… et qui concerne tous les Français dans leurs libertés.

 

Au fond, ce projet de loi accorde à tous une liberté dont personne ne veut prendre vraiment la mesure. Chacun a continué à penser avec des catégories contestables et dépassées, cette bipartitition homo/hétéro si confortable pour la majorité qui se croit hétéro, si utile pour rejeter toute attirance vers le même sexe dans une altérité radicale, un autre monde. Le projet de loi, heureusement, est plus évolué que cela.

 

Cette absence complète de la bisexualité et des bi dans le débat est le dernier exemple en date, et le plus criant, de ce qu’on appelle « l’invisibilisation de la bisexualité », et que j’appelle souvent ici « invisiBIlité ». La bisexualité est là, elle concerne des millions de gens en France, même si tous ne s’en revendiquent pas comme d’une étiquette communautaire et/ou militante – ce qui ne change rien à la nécessité de prendre en compte leur sensibilité et leurs problèmes. La possibilité et même la réalité de la bisexualité, dans ses multiples nuances, est connue au moins depuis les rapports Kinsey, mais tout se passe comme si la société française ne se décidait toujours pas à la digérer.

 

Il le faudra bien, et je pense que cette loi y aidera beaucoup. On peut espérer que d’ici une ou deux générations, les catégories homo/hétéro seront enfin nuancées, au moins par ce troisième terme commode qu’est « bisexuel », voire par une palette encore plus riche. Mais comme d’habitude, rien ne changera si on ne se bouge pas, que ce soit dans les discours médiatiques et savants ou tout simplement dans la vie quotidienne.

 

Si on ne prend pas la parole au nom des idées progressistes, il y aura toujours des conservateurs, voire des réactionnaires, pour emprisonner la discussion dans des termes complètement archaïques, en décalage complet avec la réalité des vies.

 

Bref, j’ai eu tort de me taire si longtemps sur ce sujet, et j’en ai un peu honte… mais mieux vaut tard que jamais.

 

C’est pourquoi je suis d’autant plus heureux d’annoncer le sujet de la prochaine Bi’causerie à Paris, qui aura lieu ce lundi 11 mars, et qui portera précisément sur « Bisexualité et mariage pour tous » :
Cher(e)s ami(e)s, Bi’causien(ne)s,
Nous vous invitons à la prochaine Bi’causerie qui aura lieu le lundi 11 mars, à 20 h. Le thème en est le suivant :
 
La loi sur le mariage bientôt votée ? Sa place dans le mouvement général pour l’égalité des droits… Et qu’en pensent les bi-e-s ? L’adoption, la filiation, comment ? La PMA quand ? Et les trans’ ? Vastes sujets que nous aborderons lors de la Bi’Causerie du 11 mars.
 
Au Centre LGBT, 61-63 rue Beaubourg, 75003 Paris
Après 20 h, sonnez.
Métro : Arts et Métiers, Rambuteau, RER Châtelet – Les Halles Bus 38, 47, arrêt Grenier Saint-Lazare – Quartier de l’Horloge Vélib’ stations n° 3010 et n° 3014
 
à bientôt !
L’équipe de Bi’Cause

 

Association Bi’Cause
« Parce que l’amour est un droit… »
Site internet :http://bicause.webou.net (nouveau site)
Infoline et répondeur : 06 44 22 20 62 (nouveau numéro)
Page Facebook : www.facebook.com/Bi.Cause
Compte Twitter : www.twitter.com/Bi_Cause
Adresse postale :  c/o Centre LGBT,61-63 rue Beaubourg, 75003 Paris.
Venez en nombre !

[Événement] Bi'causerie, Paris, Centre LGBT, lundi 8 octobre : "Bi et fier de l'être"

(Désolé pour le retard, j’ai été bien occupé ces derniers jours. C’est ce lundi et le thème est important !)

Bi’causerie

Bi et fier de l’être

8 octobre 2012 – 20 h – Centre LGBT

Réaffirmer la fierté bisexuelle

Pourquoi les bi sont-ils tellement invisibles, pourquoi tant de personnes bisexuelles préfèrent-elles se retrancher au « placard », un placard subi et peu épanouissant plutôt  que de révéler leur bisexualité ?

Il n’est pas toujours facile de lutter contre le déni qui entoure la bisexualité ou contre le poids des clichés stigmatisants. Pas toujours facile d’être fier d’affirmer sa bisexualité dans un environnement social dont on craint l’éventuel rejet ou la mésestime.

Et pourtant il y a toutes raisons de ne douter ni de la légitimité, ni de la dignité de notre orientation sexuelle. Reconnue politiquement, riche de personnalités qui font partie du patrimoine culturel français, porteuse de vertus libératrices pour la société entière face à certaines normes sclérosantes, et puis oui, on peut être bi et bien dans sa peau, autant de réalités qu’il ne tient qu’à nous de réaffirmer à nos propres yeux et aux yeux du monde.

Venez évoquer et approfondir avec nous les dimensions de la fierté bisexuelle.

Entrée libre

Centre LGBT, 61-63 rue Beaubourg, 75003 Paris

Après 20 h, sonnez.

Métro : Arts et Métiers, Rambuteau, RER Châtelet – Les Halles
Bus 38, 47, arrêt Grenier Saint-Lazare – Quartier de l’Horloge
Vélib’ stations n° 3010 et n° 3014

Bi’causerie est une rencontre organisée par l’association Bi’Cause, autour d’un thème relevant de la « culture bi » : arts, littérature, société… avec la participation d’une personnalité ou d’une association invitée.

Le 2e et le 4e lundi du mois, la Bi’causerie est ouverte aux adhérents, sympathisants, bi friendly, à tous ceux qui s’intéressent à l’univers de la bisexualité. Entrée libre.

Les bi américains dénoncent le "problème bi" de Google

Tout a commencé le 18 juillet, lorsque Faith Cheltenham, la présidente de l’association bisexuelle américaine BiNet USA, a publié sur le blog « Gay Voices » du Huffington Post un article intitulé « Google’s Bisexual Problem ». Elle s’y étonnait de l’étrange traitement réservé par le moteur de recherche Google aux mots-clés concernant la bisexualité (« bisexuality », « bisexual », mais aussi les mots français).

On n’est pas aidés

Le moteur de recherche de Google, dont on connaît l’ascension fulgurante due à ses performances hors du commun, possède deux outils qui font beaucoup pour sa rapidité et qui ont été repris par pas mal d’autres moteurs. L’un, intitulé « Auto Completion », affiche des suggestions automatiques chaque fois que l’internaute commence à taper un mot dans le formulaire de recherche (par exemple, si vous tapez « lesb », vous devriez avoir droit à des suggestions comme « lesbienne » ou « lesbianisme »). L’autre, plus récent, intitulé « Instant Search », opère sur les systèmes les plus rapides et consiste pour Google à commencer à proposer des résultats avant même que vous n’ayez terminé de taper les mots-clés de votre recherche. (Ce truc doit être un gouffre à énergie terrible, mais ce n’est pas le sujet.)

Or Faith Cheltenham s’est rendue compte d’une chose curieuse : lorsqu’on commence à taper des mots comme « bisexual » ou « bisexuality », aucune suggestion ne s’affiche et Google ne commence pas à faire la recherche. Elle a mis en ligne une vidéo Youtube  montrant la différence. J’ai moi-même fait le test avec les mots français « bisexualité » et « bisexuel » : mêmes absences de suggestions et de résultats instantanés.

Ce détail est moins anodin qu’il n’en a l’air. Lorsque vous cherchez quelque chose sur Google, vous avez l’habitude d’avoir l’impression que plein de gens avant vous ont déjà cherché les mêmes choses, et la recherche automatique vous montre dès le départ qu’il y a bel et bien plein de résultats sur le sujet en question. Mais si vous ne voyez pas la moindre suggestion s’afficher ? Vous aurez l’impression que personne ne cherche ça d’habitude. Idem pour l’absence de résultat : cela donne l’impression qu’il n’y a rien à trouver.

Ces deux impressions sont évidemment fausses. Mais elles ne sont pas dénuées d’impact potentiel sur les utilisateurs. On connaît le contexte actuel, très crispé, aux États-Unis sur la question du suicide chez les jeunes appartenant aux minorités sexuelles. Cheltenham estime (à juste titre, je trouve) qu’une telle différence peut renforcer le malaise des internautes mal dans leur peau et qui tenteraient de chercher des informations sur la bisexualité sur Internet. Elle rappelle en particulier le rapport alarmant publié en mars 2010 par la San Francisco Human Rights Commission, Bisexual Invisibility: Impacts and Recommendations, qui indiquait qu’une femme bi sur deux et un homme bi sur trois auraient envisagé ou tenté de se suicider, soit des taux supérieurs à ceux observés chez les homosexuel-le-s (eux-mêmes supérieurs à ceux observés chez les hétérosexuel-le-s). On sait d’ailleurs que c’est la même chose au Royaume-Uni. (En France, à ma connaissance, il n’y a pas encore eu d’étude à ce sujet…)

L’accès aux sources d’information sur la bisexualité est donc porteur d’enjeux cruciaux, et un « détail » comme celui-ci peut être lourd de conséquences, disons, dérangeantes. Et comme Google n’est pas exactement un petit moteur de recherche obscur que personne n’utilise…

Il y a donc deux choses alarmantes dans le « problème bi de Google ». La première, c’est qu’on s’explique mal l’absence de suggestions automatiques pour l’auto-complétion des mots-clés et pour les résultats de la recherche instantanée. Pourquoi diable cette différence dans les paramètres du moteur de recherche ? La seconde, ce sont les conséquences de cette différences pour les utilisateurs.

En réponse, Google fait des yeux de Bam… bi

Faith Cheltenham indique qu’en 2010, année où Google a commencé ce blocage, le Google Help Desk avait indiqué que cette différence était « un bug » qui « allait être réparé ». Mais au printemps 2012, rien n’avait bougé. D’où nouvelles démarches de Cheltenham, qui a obtenu le 2 juin cette réponse d’un porte-parole de Google :

« As you say, we’re strong LGBT supporters. Sometimes perfectly good search terms can trip up our algorithms that decide whether to show instant results. This can happen when our automatic filters detect a strong correlation on the (unfiltered) Internet between those terms and pornography. The effect varies from term to term, and keep in mind we handle billions of queries each day, 16 percent of which are new to us each day, across 146 languages. But we appreciate your feedback — it’s this kind of case that motivates us to keep working on our algorithms so we can get people the information they need as quickly as possible. » – Google Spokesperson, July 2nd 2012

Je traduis :

« Comme vous le dites, nous sommes fortement engagés en faveur des LGBT. Parfois, des termes de recherche parfaitement valides peuvent faire s’emmêler les pinceaux à nos algorithmes qui décident s’il faut ou non montrer des résultats instantanés. Cela peut arriver lorsque nos filtres automatiques détectent une forte corrélation sur l’Internet (non filtré) entre ces termes et la pornographie. L’effet est variable selon les termes, et gardez en tête que nous gérons des milliards de requêtes chaque jour, dont 16% sont nouvelles pour nous chaque jour, en 146 langues. Mais nous apprécions vos retours : c’est ce genre de cas qui nous motive à poursuivre notre travail sur nos algorithmes afin de pouvoir procurer aux gens les informations dont ils ont besoin aussi rapidement que possible. – Porte-parole de Google, 2 juin 2012

Google sollicite donc notre compassion : il est vrai qu’ils n’ont jamais mis en avant la rapidité et la fiabilité de leurs résultats, ni leur capacité en tant qu’entreprise à être meilleurs que les autres, et que ce n’est pas du tout comme ça qu’ils ont accédé à leur position dominante actuelle sur le marché. Il est vrai aussi qu’ils ont peu de moyens, peu d’employés et que deux ans est un délai bien court pour corriger un « bug ». On imagine les algorithmes animés d’une vie propre, dans les tréfonds des lignes de code, échappant peu à peu au contrôle des informaticiens, tels des raptors à Jurassic Park. Encore quelques messages comme ça et ils vont nous refaire Ghost in the Shell.

Bref, en ce qui me concerne : excuses non acceptées, capitaine Google.

Quant à l’argument de la pornographie, il me laisse plus que sceptique. Expliquez-moi comment le terme « bisexualité », associé à une orientation sexuelle qui commence à peine à faire un peu parler d’elle, pourrait être davantage associé à la pornographie que des mots comme « gay » ou « lesbienne » ou que les contenus pas spécialement labellisés avec des termes LGBT ? Y a-t-il donc une telle quantité de contenu pornographique spécifiquement labellisé comme « bisexuel » sur le Web ? Ou alors c’est ça, la matière noire de l’univers ? Sérieusement…

Mais au fond, ce n’est même pas à moi de chercher d’où peut provenir le problème : c’est aux équipes de Google de le faire. Le fait est qu’il y a un problème et que ce problème entraîne une inégalité de traitement entre les différentes orientations sexuelles sur le moteur de recherche Google.

De quoi écorner l’image impeccablement LGBT-friendly que s’est construite l’entreprise auprès du grand public.

Le coup de grâce ? En 2010, le problème concernait aussi un autre mot : « lesbian ». De plus en plus embêtant. Sauf que, toujours selon Cheltenham, le mot « lesbienne » a été débloqué depuis… mais pas les mots-clés concernant la bisexualité. Décidément, les voies des algorithmes sont impénétrables. De quoi se demander si Google ne se moque pas un peu du monde (et des bi en particulier). Et de quoi donner envie de recourir plutôt à d’autres moteurs de recherche, par exemple ceux qui n’emmagasinent pas les données des utilisateurs, comme Ixquick ou Duckduckgo.

Les bi persistent, et demandent à signer

La communauté bi américaine n’a pas l’intention d’en rester là, et c’est pourquoi une pétition a été lancée sur Change.org : « Google’s Technical Staff: Stop blocking the word « bisexual » from instant search results ».Pas besoin d’être américain pour signer, naturellement !

Je traduis le texte de la pétition si vous ne lisez pas l’anglais :

« Aux équipes techniques de Google : cessez de bloquer le mot « bisexuel » dans les résultats des recherches instantanées

Google a été un partisan de longue date des combats menés pour l’égalité des LGBT. Bloquer ce terme ne dénote pas une volonté d’inclusion et permet à un mythe répandu sur la bisexualité – selon lequel elle n’existerait pas réellement – de persister.

En tant que membre de la communauté bisexuelle, cela me choque personnellement. J’ai été l’objet de beaucoup de préjugés et de stéréotypes. Bloquer l’accès à l’information ne fera que perpétuer la biphobie.

Ou bien imaginez des adolescents et des adultes qui pensent qu’ils pourraient être bisexuels et qui se tournent vers Google pour chercher des informations. Que trouveraient-ils ? Qu’est-ce que cela leur ferait croire ?

 Imaginez aussi : vous êtes un parent dont l’enfant vient juste de faire son coming out en tant que bisexuel. Vous vous tournez vers Google pour chercher des informations sur la meilleure manière de soutenir votre fils ou votre fille. Néanmoins vous vous heurtez à des barrages routiers qui limitent ce que vous trouvez. Qu’éprouveriez-vous dans une pareille situation ?

 Je pense que Google a la responsabilité de refléter pleinement son soutien à la communauté LGBT et de faire avancer notre égalité avec les autres. Avec ce blocage toujours en place, ce n’est qu’une égalité partiale qui est reflétée.

 En signant cette pétition, vous demandez à Google de refléter de façon plus complète son engagement à soutenir la communauté LGBT. »

Notez que la pétition se concentre sur la contradiction entre le discours officiel de Google (qui se présente comme pleinement LGBT-friendly) et la réalité des paramètres de son moteur de recherche.

Affaire à suivre : j’espère que cette affaire fera encore parler d’elle, et que Google sera contraint de réagir. Ces algorithmes qui deviennent incontrôlables même pour les experts de Google, c’est tout de même flippant.

"Coming out" de Mika : les étiquettes et la biphobie contre-attaquent

L’histoire de Mika et des médias dit énormément de choses sur la persistance des discriminations que subissent les minorités sexuelles aujourd’hui encore, les gays comme les bi.

Sa récente déclaration dans une interview à paraître en septembre, où il s’identifie comme gay, a suscité toutes sortes de réactions, pas toutes spécialement fûte-fûte, comme l’explique Xavier Héraud.

Mais il y a autre chose à dire là-dessus. Un point de vue bi sur la question, vous vous en doutez.

Rembobinage

Commençons par un petit rembobinage. En 2008, le magazine Out titre en couverture : « Mika: Gay/Post-Gay/Not Gay? », et l’article vaut au chanteur d’être accusé par certains de ne pas vouloir déclarer ouvertement qu’il (ou s’il) est gay. Dans une interview au même magazine fin janvier 2008, Mika déclare vouloir parler de sa sexualité sans utiliser d’étiquettes (« labels« ).

Le 23 septembre 2009, dans une interview à Bay Windows, Mika réitère presque le même genre de déclarations, à une petite nuance près : il accepte un peu une étiquette… celle de bisexuel. « I’ve never ever labelled myself. But having said that; I’ve never limited my life, I’ve never limited who I sleep with… Call me whatever you want. Call me bisexual, if you need a term for me… » (Source : Wikipédia anglophone, section « Early life » et note 17.)

Même discours quasiment dans une interview au Standard Evening le 11 mars 2010. Je cite deux passages de l’article, parce que je voudrais en profiter pour vous montrer quelque chose :

True to his policy of maintaining ambiguity about his sexuality, he won’t tell me if his last lover was a man or a woman, just that he had to leave them because they were ‘undermining’.

(…)

His name was chosen because it was ambiguous; it could belong to someone of any gender, from any country. Perhaps his studiedly ambiguous sexuality is also a clever PR choice. Is he simply being careful not to alienate his teenage girl fan base, in the tradition of our finest boyband members? Those were my cynical thoughts until I met him and heard him talk about love, about which he seems genuinely confused. He is single and claims to be going through something of a drought. ‘Love? I don’t know if it’s an option for me, really. I consider myself label-less because I could fall in love with anybody –literally – any type, any body. I’m not picky.’ That makes you sound easy, I say. ‘Ha!’ he laughs. ‘It’s not proving easy, it’s proving very hard. I’m a very bad flirt, I just don’t know how. And if I do like somebody, it almost never works. I don’t get hit on very often at all. Maybe it’s because I look like a bit of a bastard. But I’m too much in the moment to be arrogant. I hate people who rest on their laurels.’

Besoin d’une traduction ? Mika affirme : « Je me considère hors labels parce que je pourrais tomber amoureux de n’importe qui, littéralement, n’importe quel type, n’importe quel corps. Je ne suis pas difficile ». Réponse du journaliste : « Tu as l’air d’un mec facile quand tu dis ça ».

On est en plein cliché du bisexuel comme… ben, comme type facile, justement. Le fait de POUVOIR sortir avec une plus grande variété de gens est confondu avec le fait de VOULOIR sortir avec plus de gens tout court. Un peu comme si vous me disiez que vous savez parler dix langues différentes et que je vous répondais : « Wouah, tu dois être horriblement bavard! » Vous trouveriez ça logique ?

(Appréciez « accessoirement » le soigneux mélange de réprobation et d’humour pour faire passer la pique sur le mode « maaaaaaisaaaah on rigoleuuuh ». Oui mais non.)

Bref, et nous en arrivons donc au 3 août dernier, où une avant-première d’une interview à paraître en septembre dans le magazine Instinct révèle la dernière déclaration de Mika : « Yeah, I’m gay« .

Tout le monde titre donc : « Mika fait son coming out« .

Et c’est là que je dis non.

Mika avait DÉJÀ fait son coming out

Pourquoi non ? Parce que Mika avait déjà fait son coming out. Et cela dès 2008, en déclarant puis en répétant publiquement, dans ses interviews, qu’il ne voulait pas utiliser d’étiquette et qu’il se sentait capable de tomber amoureux et de coucher avec n’importe qui, façon très ferme de montrer qu’il ne s’enfermait pas dans la catégorie « hétéro ».

Si vous ou un de vos amis publiait ce genre de déclarations dans un magazine, je ne sais pas comment vous appelleriez ça. Moi, j’appellerais ça un coming out.

Et c’est là – encore une fois, en reprenant toute l’affaire au ralenti et en réfléchissant aux détails – qu’on voit à l’œuvre toutes sortes de mécanismes d’oppression. De la part des hétéros… et de la part de la communauté gay. Avec un jeune chanteur au milieu qui est supposé coupable de toutes sortes de mensonges, simplement parce qu’il est un personnage public et qu’il ne gagne pas trop mal sa vie (à ce que j’ai cru comprendre).

Les choses sont compliquées, mais c’est normal : tous nos vieux ennemis favoris sont là ! Regardez :

L’homophobie. Je ne vous la présente plus. Patente, gluante, sournoise. Le contexte général, c’est ça. Un personnage public, dans le monde du show-biz, qui fait des déclarations louches sur sa vie intime, ça n’est pas si facile que ça. Moins en 2008 qu’en 2012, d’ailleurs, je pense (l’ouragan Gaga était encore très loin d’avoir pris son essor). Donc, Mika ne peut probablement pas se permettre de raconter n’importe quoi publiquement le cœur léger. En revanche, il en parle dans ses chansons, mais ça ne dit rien sur sa vie privé.

Le problème, c’est que ça se retourne aussitôt contre lui. Deux spectres – non, attendez, trois spectres – entrent en scène :

Le spectre de l’homo refoulé, qui avance main dans la main avec notre plus cher ennemi le gaydar, grand renforceur de clichés. Mika est mignon ? Il est gay ! (C’est vrai que tous les gays sont mignons, c’est connu. Et puis, à 26 ans, on est supposé être moche et pas sexy, c’est connu aussi.) Il s’habille avec des couleurs vives ? Over gay ! (Les gays en costard cravate, ça n’existe pas, et d’ailleurs dans le show-biz on ne s’habille jamais avec des couleurs vives.) Il chante avec une voix aiguë ? Super gay ! (Tous les gays ont des voix de fillettes, connu aussi : revoyez La Cage aux folles, ce documentaire neutre et pertinent sur l’homosexualité contemporaine.) Il fait des gestes affectés avec les mains dans ses clips ? Hyperhyper gay ! (Et les hétéros,  vous avez vérifié ? Vous devriez : ils en font aussi…) Il s’entend super bien avec les filles ? Hypra gay ! (Hein, quoi ? si si, ne niez pas, vous avez déjà tenu ce genre de raisonnement…) Conclusion de ces analyses à la rigueur intellectuelle inattaquable : Mika est sûrement un homo refoulé. S’il ne dit pas la vérité sur sa sexualité, c’est qu’il a honte, qu’il a peur, qu’il est victime d’homophobie intériorisé, etc. C’est vrai, il a publiquement dit des trucs qui font que tout le monde sait qu’il n’est pas hétéro, mais à part ça c’est un lâche.

Le soupçon du « bisexuel chic ». Et plus précisément le spectre du bisexuel marketing, qui arrive dans une odeur de soufre, des billets pleins les poches, avec ses petites cornes en plastique et sa barBIche postiche. Il est là pour se faire des sous en se faisant passer pour un Rebelz à bon compte. Bouh, pas bien. D’accord, je ne dis pas que ça n’est jamais fait, bien au contraire. Il faudrait se demander si c’est si horrible pour la cause des gays et des bi, mais c’est une question complexe et ça nous éloignerait du sujet. Mika, chanteur encore à ses débuts, avait-il vraiment intérêt à mettre en place une stratégie pareille pour se faire connaître ? A-t-il pu le faire avec l’aval de sa maison de disques ? Je n’en serais pas si certain… Mais une chose est certaine : dès lors qu’on pense en ces termes, Mika n’a tout simplement plus de vie personnelle. Il devient aux yeux de la communauté LGBT une pure créature du capitalisme rampant, ce qui empêche complètement de garder les yeux ouverts aux trucs autres que l’argent qui pourraient le motiver ou le retenir aussi.

Et j’ai gardé pour la fin les deux dernières hydres du lot, qui vont main dans la main aussi :

La biphobie et sa compagne omniprésente l’invisibilisation des bi (et plus généralement de tout ce qui n’est pas monosexuel). La biphobie franche et crasse, on en a vu un puant exemple ci-dessus avec l’interview du Standard Evening. Mais c’est avant tout sa forme la plus sournoise, à savoir la négation pure et simple d’identités autres que les sacro-saintes catégories hétéro/homo, qui est à l’œuvre dans cette affaire.

Dans toute cette histoire, c’est comme si on n’avait jamais pris Mika au sérieux. Il dit : « je ne veux pas me limiter aux étiquettes », il dit : « si vous voulez me coller une étiquette, appelez-moi bisexuel », on répond : « Il est gay, il ne veut pas le dire ». Peu importe ici qu’il soit gay ou non finalement : ce qui compte, et qui me révolte, ce sont les réactions des gens (notamment mais pas seulement dans les médias, généraux et LGBT). C’est tout simplement scandaleux. Quand quelqu’un parle, peu importe qui, il faut prendre au sérieux ses paroles. La façon dont une personne se définit elle-même est la base de son identité. Tout le monde se tue à le dire, notamment pour les trans, mais toute une partie des gays n’est même pas fichue d’appliquer ça au quotidien. Homo refoulé ? Homophobie intériorisée ? Ce n’est pas votre problème, et ce n’est certainement pas une raison valable pour réagir avec des accusations. On ne colle pas une étiquette aux gens sans prendre en compte ce qu’ils disent sur ce qu’ils sont. C’est ce qu’on nous a fait trop longtemps, qu’on fait encore beaucoup trop, alors ne faisons pas la même chose !

Au fond, ce que montre ce concert d’articles titrés « Mika fait son coming out » et ces réactions narquoises sur le mode « On n’est pas du tout surpris, on le savait déjà », c’est qu’au fond le premier coming out de Mika, qui était un coming out de bi ou de queer qui refusait en bloc les catégories, n’a jamais vraiment été pris au sérieux. C’est de la biphobie, et c’est… de la queerphobie, si vous voulez. C’est la preuve en tout cas que tout ce qui n’est pas monosexuel (homo ou hétéro) est encore largement refusé au sein de la communauté.

Et des gays qui ne supportent pas le queer, c’est grave.

La dernière chose qui me révulse dans les réactions à ces déclarations de Mika, c’est le fait – typique de l’époque actuelle dans ce qu’elle a de débectant – qu’on donne à pleine tête dans l’essentialisme. Personne, absolument personne n’envisage jamais qu’il a pu se passer des choses dans la vie du chanteur entre 2008 et 2012 (quatre ans, quand même !). Le coming out est une révélation de la vérité intime et éternelle de la personne, qui a valeur rétroactive : tout ce qui a été dit auparavant était faux, soit parce qu’il y avait refoulement, soit parce qu’il y avait mensonge ou silence calculé. Mika dit en 2012 qu’il est gay : il en résulte qu’il a toujours été gay devant Dieu, de toute éternité, sans évolution possible.

Eh bien non, non et encore non, c’est une façon de penser stupide, oppressante et primaire. Ce que Mika est, c’est à Mika de le dire, s’il en a envie. Mais par pitié, concevez le fait que Mika a peut-être changé. Les gens changent. Le temps existe. La nature d’une personne n’est pas gravée dans le marbre. Le seul truc qui est en marbre gravé, c’est la pierre tombale (et encore, il faut avoir les moyens).

« Bi et pas sérieux s’abstenir »

Entendons-nous bien : il est tout à fait possible qu’on soit dans le cas d’une personne qui s’est toujours conçue comme homosexuelle, mais qui avait peur des réactions homophobes, et a donc commencé par se déclarer bisexuelle ou sans étiquette, puis a pris confiance et a enfin osé révéler son homosexualité. Cela arrive encore souvent, cela arrivera encore à l’avenir, j’en ai peur.

Ce que je voudrais, c’est que cela arrive de moins en moins. Car cela renforce le cliché collant du « bi maintenant, gay plus tard » qui fait énormément de mal aux gens qui s’identifient comme bi. Si, dans le cas présent, Mika a utilisé l’étiquette bi comme camouflage temporaire, on ne peut pas lui en tenir rigueur – ce n’est pas moi qui le ferai, en tout cas – car le contexte général est assez homophobe pour expliquer ce genre de tactiques. Mais j’aimerais qu’on ne généralise pas ça à tous les bi. « Bi » n’est pas un alibi et ne doit pas être un alibi.

Bien sûr, la lutte contre l’homophobie doit permettre aux gens qui s’identifient comme gays de le faire publiquement en toute confiance.

Mais dans le même temps, il est urgent de perdre les réflexes dualistes qui amènent encore tant de gens à tout réduire aux deux seules catégories « homo » et « hétéro ». Et c’est là-dessus que j’insiste, car c’est cet enjeu-là qui semble encore méconnu de trop de monde. Non, ce ne sont pas les seules étiquettes possibles. L’identité bisexuelle est une identité à part entière. L’identité « je refuse les étiquettes » devrait en être une également, autant prise au sérieux que les autres.

Visiblement, Mika avait raté son premier coming out : toute une partie des gens n’avait pas enregistré qu’il était « hors labels ».

Terminons pas une anecdote. Au moment de la sortie du film Kaboom de Greg Araki, dont le héros est un mignon jeune homme qui a des rapports avec des gens des deux sexes mais dit refuser de se limiter à une étiquette – exactement comme Mika entre 2008 et 2012 -, un chroniqueur radio avait eu le culot de dire que le héros du film était « hétérosexuel ». Si si. Il fallait le faire. J’avais râlé contre. Là, j’observe le cas exactement inverse, mais de la part de la communauté LGBT : quelqu’un dit refuser les étiquettes, et tout le monde prend ça comme une dérobade temporaire de la part d’un gay.

Mais allez, Mika est vraiment gay. Quel soulagement. Tout rentre dans l’ordre. Dormez, braves gens, vous aviez raison.

Pour une personne.

Bienvenue dans le monde des bi et des non monosexuels, l’univers où personne ne vous prend au sérieux…

Rapport sur l'homophobie 2012 : complément

Dans un billet du 17 mai, à l’occasion de la publication du Rapport sur l’homophobie 2012 de SOS Homophobie, j’avais passé à la loupe l’ensemble des Rapports sur l’homophobie pour voir ce qu’ils disaient sur les bisexuel-le-s et la biphobie. J’en concluais que l’intégration des bi en tant que groupe à part entière dans ces rapports restait trop aléatoire, que les bi n’avaient pas encore la visibilité à laquelle ils ont droit et dont ils ont besoin, et que la biphobie n’était pas encore prise en compte en tant que forme de discrimination spécifique, malgré la volonté manifeste d’inclure les bi et la biphobie dans les formules globales regroupant les minorités qui se cachent dans l’acronyme « LGBT ».

Ce billet semble avoir été très lu : merci beaucoup à toutes les personnes qui l’ont lu et ont pris le temps de le commenter ! La discussion qui en est sortie était au moins aussi intéressante que le billet lui-même. Sans vraiment ajouter moi-même grand-chose à mon propos de départ, je voudrais simplement clarifier ma démarche pour éviter tout malentendu, et ensuite poster ici certains commentaires postés par des membres de SOS Homophobie et de Bi’cause afin de leur donner plus de visibilité, parce que je pense qu’ils peuvent intéresser du monde.

Le Biplan : il n’y a pas de troll dans l’avion

Mais si, Bombastus, ils ont écouté, ne prenez pas la mouche... (Case extraite de la BD "De Cape et de Crocs", t.4, scénario Ayroles, dessin Masbou. Lisez-la, elle est bien !)

Petit éclaircissement sur ma démarche, d’abord. Même si j’espère que le contenu du billet ne prêtait pas à confusion là-dessus, je tiens à redire que mon intention n’était pas de faire passer SOS Homophobie pour un infâme repaire de sales biphobes, ni de remettre en cause leurs compétences.

D’une part parce que ce n’était pas l’impression que j’avais sur le travail de cette association, que je suis depuis un bon moment par Internet et par rapports sur l’homophobie interposés, et qui abat une masse de travail impressionnante (d’ailleurs je le disais dans le billet).

D’autre part parce que je me suis rendu compte assez vite que l’auto-victimisation et le complexe obisidional galopant sont le Charybde et la Scylla entre lesquels toute personne qui entreprend de militer pour une cause très personnelle doit s’entraîner à naviguer afin de ne pas céder aux sirènes de la facilité et d’abandonner toute rigueur intellectuelle. J’étais d’autant plus prudent que je ne connaissais pas les conditions précises dans lesquelles sont rédigés les rapports, et que je me doutais que la partie « synthèse de témoignages » du travail devait influencer le résultat final (et, oui, je me doutais bien qu’il ne devait pas y avoir encore beaucoup de bi déclaré-e-s pour envoyer des témoignages). Tout cela me conduisait à prendre toutes sortes de précautions dans la présentation de mon analyse.

J’avoue avoir un peu hésité à publier le billet fini une fois que j’ai eu balayé tous les documents et tiré les conclusions qui allaient avec. Le rapport 2012 vient juste d’être publié, il a demandé un travail énorme à l’association et il rend, comme chaque année, un énorme service aux minorités LGBT. En mettant en évidence une lacune, j’aurais l’air de jeter un pavé dans la mare, voire de cracher dans la soupe. De plus, il y a peu de choses plus rageantes, quand on vient de terminer un gros travail, de voir débarquer un inconnu qui pointe le doigt vers un coin du bidule et s’exclame : « Hé ! Il manque ça ! Franchement vous faites pas d’efforts ! » Je comprends donc tout à fait que mon article ait pu être soupçonné de simple billet d’humeur déguisé en analyse. Il n’en était pas un, et j’espère que la lecture complète de l’article le montrait suffisamment. Mais au cas où, autant clarifier définitivement la façon dont je le concevais : il ne s’agissait pas de râler pour le plaisir de râler, mais d’apporter ma pierre en essayant, pour chaque manque que je repérais, de donner des pistes sur la façon dont on pourrait améliorer les choses.

Je le faisais avec d’autant plus de confiance que j’étais en contact depuis quelques mois avec l’équipe de l’association Bi’cause, qui m’avait parlé d’un projet de partenariat entre Bi’cause et SOS Homophobie pour la rédaction du prochain rapport (ce qui me fait applaudir des quatre mains et des trois oreilles, évidemment !). Si mon article peut apporter sa petite contribution à ce travail commun, je serai un bi heureux.

Une dernière chose : plusieurs membres de SOS Homophobie m’ont répondu à très juste titre : « Venez donc nous aider ! » En fait, c’est justement ce que j’essayais de faire (c’est aussi pour ça que je leur ai envoyé le lien vers l’article tout de suite : le but n’était pas de critiquer les gens dans leur dos). Mais pour ce qui est de mon activité personnelle, j’ai un mini coming out de militant à faire ici : au moment où j’ai publié le billet, je venais d’adhérer à Bi’cause. Même que ça n’était pas trop tôt. Donc, oui, pour ceux qui ne connaissaient pas encore ce blog : ce blog a un aspect militant, il se veut entre autres un outil de réflexion militante, pour faire avancer les droits des bi et leur visibilité générale et pour contribuer à l’émergence d’une communauté bi. Il se trouve que pour le moment, ma Vie Autre (cette hydre passionnante et chronophage en diable) fait que ce blog est à peu près la seule façon dont je puisse donner mon coup de main en tant que militant (débutant, en plus). C’est limité, et c’est autre chose qu’être présent « sur le terrain » (quoique Internet soit aussi un terrain), mais j’espère que ça aidera quand même un peu ! Peut-être pourrai-je m’investir davantage par la suite, mais, pour le moment, je préfère faire ce que je sais que je peux arriver à faire bien, plutôt que de me disperser trop ou de faire plein de promesses sans avoir la moindre idée de ma capacité à les tenir.

Donc, si vous vous intéressez à la cause bi, lisez le Biplan, commentez le Biplan, n’hésitez pas à m’envoyer des infos, des liens et des annonces d’événements en rapport avec la bisexualité et les enquêtes sur les LGBTphobies pour que je les diffuse, et je le ferai avec plaisir ! Et dites aussi merci à la rédaction de Yagg qui relaie régulièrement les billets de blogs de bi (au pluriel : il y a Prose qui était là bien avant moi) en page d’accueil et affiche une vraie volonté de donner plus de visibilité aux « minorités dans la minorité » comme les bi et les trans.

Quelques précisions par des membres de SOS Homophobie et de Bi’cause

Je voudrais aussi mettre ici quelques (pas tous – aïe aïe aïe j’espère qu’on ne va pas me taper sur les doigts : l’ensemble des commentaire sont là sous le premier billet, hein !) messages laissés en commentaires par des gens de ces deux associations. Il y a des précisions sur la façon dont les rapports sont réalisés et sur les travaux en cours, et aussi des appels à bonnes volontés… parce que oui, sous leurs airs très pro ce sont de petites structures, qui ont toujours besoin de gens et d’argent, et de coups de main… et de témoignages !

Premier commentaire de gejir :

Je comprends très bien ce sentiment de frustration de se sentir oublié, ignoré.

Cependant, il faut savoir que le rapport est écrit à partir de témoignages de victimes d’homophobie, biphobie et transphobie. Malheureusement (est-ce le bon terme), le nombre de personnes se désignant comme bi, ou se disant victime de biphobie est extrêmement faible. Il est donc difficile de pouvoir consacrer un chapitre dirons-nous sur l’aversion envers les bi.

Il faut savoir également que SOS homophobie a lancé un groupe de travail avec une autre assoce, il me semble, sur la bisexualité il y a quelque mois. Je t’engage donc peut-être à te rapprocher de l’association si tu souhaites t’impliquer dans la visibilité beaucoup plus accrue de la biphobie. Je pense que tu pourrais y apporter beaucoup de choses.

D’ailleurs, chaque année SOS homophobie cherche des rédacteurs pour son rapport, je pense que cela pourrait aussi t’intéresser de participer à l’association en tant que rédacteur, notamment sur cette question.

Love, Love, Love.

Comme gejir le suppose dans un de ses commentaires suivants, je pense qu’on peut essayer de s’adresser plus spécifiquement à la population bi. Mais c’est terriblement compliqué de bien le faire (les gens de Bi’cause en parlent dans les commentaires ci-dessous).

Commentaire de Fred, que je transmets parce que l’appel à témoignages qu’il m’adresse vaut aussi pour tout le monde (et notamment les bi qui lisent ce blog !) :

Je suis militant au sein de SOS depuis de nombreuses années (plus de 6 ans) et je trouve cette article intéressant, et relativement constructif. De même que les commentaires.

Je réagis à titre perso (et non associatif)

Comme l’a indiqué « Rédacteur », la meilleur façon de nous faire évoluer c’est d’intégrer l’association :-) L’association est vraiment très ouverte à la discussion, et pour l’avoir vécu, il est vraiment possible de faire évoluer les choses. En fait on attend même que ça !

Je précise que l’association est aujourd’hui quasiment uniquement bénévole. Nous sommes une moyenne structure, et nous avons besoin de bras et de talents.

J’ai bien conscience que tous le monde n’a pas le temps de devenir bénévole. Il existe beaucoup d’autres moyen de nous aider. Le premier étant de parler de nous et surtout d’inviter les bi (mais aussi tous les autres ;-) à témoigner.

Le formulaire de témoignage en ligne est ici : http://www.sos-homophobie.org/temoigner

Sylvius je t’invite vraiment à témoigner. A chaque fois que tu trouves un exemple, n’hésite pas à le signaler ! N’hésite pas non plus à relayer l’information. Notre formulaire de témoignage en ligne existe, la ligne aussi ( 0810 108 135 )

Si tu n’as pas le temps de nous rejoindre je n’aurais qu’un message : parle du formulaire de témoignage de SOS et utilise le ! En tant que blogueur tu as largement les moyens de relayer cette info ;-) Fais le pour nous, pour Bi’Cause : c’est le meilleur moyen de faire évoluer les choses.

Fred

Commentaires de nevermind, autre membre de SOS Homophobie, qui donne des précisions sur le fonctionnement de SOS Homophobie  :

Salut,

félicitations pour ton article qui est une critique très construite et constructive, perso en tant que militant de SOS homophobie (mais je n’appartiens pas à la commission Rapport annuel), j’essaie de faire attention à toujours parler de la biphobie dans les interventions en milieu scolaire, et j’insiste toujours, avec d’autres pour qu’elle soit nommée dans la com de l’association. Ensuite, je vais certainement répéter ce qu’ont déjà dit les autres, mais le travail d’une association repose toujours en fin de compte sur l’implication des gens ; et, même si tu as l’impression de ne pas avoir le temps ou de ne pas être qualifié, tes articles montrent de manière évidente tout l’intérêt de ce que tu pourrais apporter.

SOS homophobie compte à présent une fille au bureau chargée spécifiquement d’intégrer plus étroitement la biphobie, la transphobie et la lesbophobie au sein du travail et de la com de l’association ; par ailleurs je souhaite que le rapprochement entre Bi’cause et SOS se poursuive !

Le problème, c’est que j’ai l’impression que beaucoup de gens ont l’air de considérer que SOS homophobie est une énorme association, voire une sorte d’institution para-étatique, alors qu’en fait, nous sommes une petite structure, comme l’immense majorité des associations soit dit en passant…Une petite structure qui repose qui plus est quasi totalement sur le travail de bénévoles, c’est-à-dire de personnes non rémunérées et sans horaires fixes. Par ailleurs le rapport, on le répète souvent, est imparfait, puisqu’il repose avant tout sur des témoignages : or nous savons tous que peu de personnes, en définitive, témoignent…

Et une réaction détaillée de Nelly, présidente de Bi’cause, qui donne pas mal de précisions utiles sur son expérience de militante bisexuelle, sur Bi’cause et sur la façon dont on peut faire bouger les choses :

Hello tous

merci à Silvius pour ce gros travail d’analyse que je signalerai à la personne d’SOS Homophobie qui a décidé de s’emparer spécifiquement de la question bi…. car ça y est, depuis peu, il y a quelqu’un impliqué sur ce chantier, ce qui va changer les choses.

Il y a un constat surprenant. Au sein des associations LGBT qui se sont donné pour mission de défendre les droits des L et des G, et des B, et des T, on a pu se rendre compte avec étonnement qu’il y a des bi, mais… qu’ils ne s’occupent pas particulièrement de la question bi. C’était le cas à SOS par exemple, il y avait bien des bis mais aucun semble-t-il n’avait eu jusqu’ici l’envie ? le cran ? autre hypothèse explicative ? (mais peut importe, c’est ainsi) de consacrer sa connaissance intime ou sa fraternité de bi à une étude spécifique consacrée à la question bi et à la façon dont les bis sont traités.
Non, dans les assoces le plus souvent les bis s’oublient au bénéfice d’une cause générale, qui prend souvent l’intitulé d’ »homo quelque chose ».
Alors, aujourd’hui, à SOS c’est une femme, qui n’est « même » pas bi (et qui semble seule pour l’instant) qui a décidé de prendre en main la question bi. C’est quand même, je n’ose pas dire « un comble » mais, disons, surprenant. C’est aussi plutôt sympathique, néanmoins je trouve un peu logique à priori que des non bis ne s’investissent naturellement et spontanément dans la défense des bis, alors que les bis eux-mêmes ne le font pas…
Lorsque que nous avons souhaité ce rapprochement avec SOS homophobie lors de la Journée Internationale de la Bisexualité (JIB) 2011, nous avons aussi incité les bis militants à s’impliquer dans des associations comme SOS Homophobie pour y porter la défense des bi. Visiblement cela n’a pas eu d’écho.

Ensuite, d’après SOS homophobie lors de notre échange le 23 septembre à la JIB, les bis qui appellent n’osent pas forcément dire qu’ils sont bis (angoisse de biphobie y compris au sein de cet espace d’accueil ?). Alors certes, le protocole de questions n’est peut-être pas bien adapté aux bis (enfin, ça se module), mais il faut bien avouer que notre propre appel à témoignages pour établir une étude statistique sur les bis et la biphobie, ici à Bi’Cause, n’a pas eu non plus de retours…

Bref, sans vouloir non plus être accusatrice de quoi ou qui que ce soit, il serait souhaitable, si les bis veulent que les choses bougent pour les bis, hé bien que les bis osent ou fassent l’effort de s’impliquer davantage.
Il n’y a aucune raison que ça se fasse tout seul et il faut d’abord compter sur soi avant d’attendre quoi que ce soit des autres.

Notre expérience à Bi’Cause, c’est que si on ose agir dans le monde LGBT, et bien on parvient à faire évoluer les choses. Au conseil de mars 2012 de l’Inter-LGBT Ile de France, quand Bi’Cause a demandé à ce que la « biphobie » soit rajoutée dans le corpus revendicatif au chapitre intitulé « lutte contre l’homophobie, la lesbophobie, la transphobie », cette demande a été validée sans problème à l’unanimité.
Ni les autres associations, ni les structures de l’Inter, ne font obstruction à l’identité bisexuelle. Simplement, comme pour les lesbiennes à un certain moment, comme pour les trans, il faut que les bis fassent connaître qu’il existe une biphobie spécifique et un caractère spécifique de la bisexualité.

Et on ne peut pas non plus reprocher aux non bis d’avoir du mal à appréhender la bisexualité, alors que la définition de la bisexualité n’est pas toujours évidente pour les bis non plus. C’est la raison pour laquelle Bi’Cause a élaboré sur des témoignages recueillis sur plusieurs années le Manifeste français des bisexuel(e)s.
Mais on arrive à approfondir encore et tendre à encore plus d’exactitude dans la définition synthétique en s’inspirant des études anglosaxonnes. Et chaque bi a un peu son idée là-dessus. Certaines définitions (par exemple : « la bisexualité c’est l’attirance pour plus d’un genre ou plus d’un sexe », ce qui paraît assez ouvert et synthétique comme définition) font dire à certains interlocuteur « ah c’est la pansexualité alors ». Parfois franchement on a l’impression que les neurones vont faire des noeuds.

Mais j’ai une très bonne nouvelle : les choses changent et vont continuer à changer (dans le bon sens) si on le veut. Car même si des études récentes ont bien révélé que la réalité du « placard bi » sévit encore au sein des associations et musèle les bis qui ont intériorisé la culpabilité qu’on fait peser sur eux, il nous semble qu’un frisson de « révolte » commence à se sentir. Les bis des assoces généralistes LGBT commencent à prendre en compte davantage la défense des bis. C’est enthousiasmant et encourageant.
Et, pour ce qui est de la biphobie, quand je vous dis que ça bouge, un groupe s’est constitué non seulement avec SOS Homophobie mais aussi le MAG (et Bi’Cause, donc), et quelques personnes physiques. Deux réunions de travail ont déjà eu lieu. Notre ambition est d’aboutir à la fin de ce travail à un document du genre du rapport anglosaxon. C’est un gros chantier. Vous en aurez bientôt des nouvelles, puisque cela commencera par des questionnaires.

Par ailleurs, la représentante d’SOS homophobie nous a confié des feuilles de recueil de témoignages d’SOS que nous pouvons faire remplir aux bis qui auraient été victimes de manifestations biphobes. C’était trop tard pour la publication 2012 mais c’est ouvert pour 2013. Venez à l’occasion des réunions de Bi’Cause laisser votre témoignage. Nous transmettrons ces feuilles à SOS pour nourrir le prochain rapport.

Voilà : il reste beaucoup de murs à déplacer, mais nous nous rendons compte à Bi’Cause que si on s’y colle, avec constance et détermination, les murs bougent et même plus facilement qu’on ne l’aurait cru.
Ce qui est utile, ce n’est pas de regarder vers le passé et de regretter ce qui n’existe pas, ou de s’étendre en reproches, ce qui est utile c’est de regarder vers l’avenir, sur la base de ce qui manque, pour le faire exister. L’énergie est à concentrer vers l’avant, et la solidarité aussi.
Et dans cette démarche, plus on sera à s’impliquer dans l’associatif et l’interassociatif, plus loin et plus vite on ira. Donc, si vous le pouvez, rejoignez Bi’Cause (nous avons besoin de militants actifs pour pousser nos actions), rejoignez SOS-H, rejoignez l’assoce LGBT de votre choix sur une thématique qui vous parle pour y défendre la cause bisexuelle.

Bi’amicalement à tous, et de l’optimisme :-)
Nelly, présidente d Bi’Cause

Et une seconde mise au point, qui lance notamment un appel aux bi et aux « bi-alliés » prêts à s’investir (même un peu) :

@ Red : je pense qu’il y a quand même eu du progrès dans l’acceptation des bis au sein de la communauté LGBT mais avec des variables : Paris-Province / associations-individus par exemple. Il serait intéressant d’analyser ces variables pour affiner les constats.
Pour quelques remarques à la louche, il me semble qu’à Paris on constate un moindre rejet des bi dans les structures LGBT qu’en Province.
De même, les associations mixtes (LGBT) de plus en plus prennent en compte la dimension « bi » dans leurs missions, par contre au sein de leurs adhérents, on rencontre encore des manifestations biphobes. Ces manifestations biphobes enracinent le phénomène du « placard bi », les bi qui n’osent pas faire savoir qu’ils sont bis car ils ont peur de la stigmatisation et ont même parfois intériorisé, sous forme de culpabilité de groupe, les remarques biphobes.
Et comme les bis n’osent pas non plus toujours encore taper à la porte de ces associations, même si celles-ci se veulent bi-friendly dans leurs structures, du coup tout ce qui entoure la bisexualité : sa nature, ses spécificités, ses difficultés propres… sont mal connues (d’où des remarques telles que celles de Phoebius)

Mon sentiment de militante bi, c’est que la bisexualité, comme tout ce qui est étranger aux personnes qui appréhendent une réalité différente de la leur, provoque une certaine méfiance spontanée et n’éveille pas une fraternité naturelle chez les non bis. Cependant, il suffit de discuter, de partager des choses, des moments, des actions, des manifestations, des bières, d’être présents aux actions du monde LGBT, pour que cette défiance initiale disparaisse. Tout ça est finalement assez humain.
C’est ce que nous vivons à Bi’Cause au sein de l’Inter-LGBT, aux côtés des autres associations LGBT.
Je ne vais pas redire ce que j’ai déjà écrit dans mon précédent commentaire.
Les choses se passent bien et avancent petit à petit et petit à petit les autres apprennent à mieux nous connaître, à accepter certaines différences tout en trouvant la fraternité. Il faut « juste » (je sais, il y a une peur à dépasser) oser s’affirmer et puis montrer qui nous sommes vraiment (à savoir des personnes comme les autres, avec pas plus de défauts et pas plus de qualités, avec des modes de vie divers, au-delà de notre identité bi).

Fred a raison : il faut oser s’investir en tant que bi.
Pour deux raisons :
D’abord si les LGT côtoient les bis en les trouvant sympa sans savoir qu’ils sont bis, ça n’aide pas à contrebalancer les mauvais fantasmes et clichés sur les bis. Les gens continueront de trouver untel ou untel (bi du placard) sympa, fiable, engagé, etc, tout en restant persuadés que les bis sont je ne sais pas, traîtres, inconstants, pas fiables, etc..
Et ensuite pour faire connaître activement la réalité de la bisexualité et lutter contre les clichés de façon militante.

Et j’abonde dans le sens de ce que dit Fred : on ne peut pas déplorer une réalité si on ne fait rien pour la changer.
Il ne faut pas attendre que cela vienne des autres. La réalité associative c’est ça : une association n’est pas une entité, c’est un ensemble de personnes qui donnent du temps pour ce qu’ils croient juste et ce qui leur parle.
Si la défense de la bisexualité vous parle, venez apporter vos forces vives pour la défendre et construire des actions.

Pour ce qui est des fiches de témoignage d’SOS-Homophobie, comme je le disais, nous en avons aussi (Léa nous en a données). Reste plus que les personnes viennent y déposer leur témoignage.
Et encore merci à Silvius pour ses relais
@ Silvius : il faut que je t’envoie quelques documents qui vont t’intéresser et nourrir ta réflexion

bi’amicalement
Nelly Présidente de Bi’Cause

De fait, les gens de Bi’cause m’ont envoyé plein de documentation, ce qui m’a donné pas mal d’idées pour de futurs billets sur ce blog. À suivre, donc ! 🙂

Rapport sur l'homophobie 2012 : les bi et la biphobie quasi invisibles

À l’occasion de la publication du rapport annuel 2012 de l’association SOS Homophobie, j’ai lu le rapport avec mon regard de jeune homme bisexuel… et avec mon regard militant : alors, comment y parlerait-on des bi et de la biphobie ? Le résultat est, malheureusement, accablant : il n’y a pas pratiquement rien sur nous, et, croyez-moi, ce n’est certainement pas parce que tout irait bien pour les bi en 2012.

Couverture du Rapport annuel 2012 sur l'homophobie de l'association SOS Homophobie.

Bi et biphobie dans le rapport 2012 : beaucoup de mots, presque aucune information

Dans le rapport 2012, les personnes bisexuelles et la biphobie sont principalement présents dans des énumérations. La définition de la biphobie, en page 11 (numérotation du rapport, pas du pdf), est regroupée dans une même phrase avec celle de la transphobie : « Les termes de biphobie, désignant les discriminations et les manifestations de rejet à l’encontre des bisexuel-le-s, et de transphobie, à l’encontre des trans, sont souvent associés à celui d’homophobie. » Il est vrai que le rapport se destine à un public large et que ces deux termes sont encore peu connus : mettons. Au paragraphe d’après, les bi figurent dans l’explication du sigle « LGBT ». Mais dans la suite du rapport, la plupart des autres occurrences du nom ou de l’adjectif « bisexuel-le-s » se trouvent aussi dans des énumérations : « aux dépens des gays, lesbiennes et bisexuels » (toujours en page 11) ; « violences observée cette année à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuel-le-s et trans (LGBT) » (page 29) ; « les droits des homosexuels, des bisexuels et des trans » (page 135) ; l’homosexualité, la bisexualité ou la transidentité » (même page). La même chose vaut pour le mot « biphobie » : « les actes de lesbophobie, gayphobie, biphobie » (page 7) ; « l’homophobie (gayphobie, lesbophobie, biphobie) et la transphobie sur Internet » (page 57) ; les « personnes victimes de lesbophobie, gayphobie, biphobie ou transphobie » (page 99) ; « les discriminations racistes et LGBTphobes (lesbophobe, gayphobe, biphobe et transphobe) » (page 118) ; « les victimes de lesbophobie, gayphobie, biphobie et transphobie » (page 153) ; « toutes les formes de discrimination liées à l’orientation sexuelle (lesbophobie, gayphobie, biphobie) » (page 167).

Le constat est clair : on ne veut pas oublier les bi dans les énumérations. C’est un symbole fort de la prise en compte de toutes les minorités et de toutes les formes de discrimination (1). Ça, c’est bien.

Bon… maintenant, qu’en est-il en dehors des énumérations ?

En dehors des énumérations, eh bien… il n’y a quasiment rien.

Un coup d’œil au sommaire (en page 5) montre que si des sections à part entière sont consacrées à la lesbophobie et à la transphobie, ce n’est pas le cas de la biphobie. Or il me semble qu’une section « Biphobie » serait un ajout utile, tant par la matière, qui ne manque pas, que par le nombre de personnes concernées à qui cela permettrait de retrouver aisément les chiffres et témoignages qui les concernent directement.

Mais ne nous arrêtons pas à des problèmes de division de chapitres (qui paraîtront toujours futiles et mesquins aux yeux d’une partie des gens) et tenons-nous-en au fond.

Lorsque les bisexuel-le-s apparaissent dans les statistiques du rapport 2012, c’est la plupart du temps regroupés avec les homosexuel-le-s. Aux pages 28-29, les bisexuelles sont regroupées avec les lesbiennes dans la présentation des statistiques sur les personnes ayant contacté l’association. À la page 154, la présentation des chiffres de l’enquête menée par SOS Homophobie et le Caélif sur les représentations de l’homosexualité dans le milieu étudiant ne donne pas de statistiques distinctes pour les homosexuel-le-s et les bisexuel-le-s, à nouveau mis dans le même sac.

Ces regroupements sont peut-être plus faciles à court terme quand il s ‘agit de concevoir des enquêtes, mais ils ont des résultats catastrophiques à moyen et long terme : ils aboutissent tout simplement à prolonger l’absence totale de données sur la population bi en France. On ne voit pas les bi, on ne les connaît pas… et je ne vois pas comment on pourrait les défendre si on ne les connaît même pas. C’est là une grosse lacune, non pas du rapport, mais des enquêtes sur lesquelles il est bien obligé de se fonder, notamment l’enquête SOS Homophobie/Caélif sur le milieu étudiant. Il faut systématiquement prendre en compte à part entière les personnes bisexuelles dans les enquêtes et les sondages pour les années à venir !

Aux pages 111-112, les hommes bisexuels figurent à côté des hommes homosexuels parmi les personnes exclues du don du sang : là c’est normal puisque les hommes bi et homo sont victimes d’une même discrimination – un combat loin d’être terminé pour les LGBT.

En page 74, les bisexuel-le-s ont cette fois droit à leurs propres chiffres, dans l’enquête de l’Institut de veille sanitaire sur le suicide chez les minorités sexuelles : «La prévalence de tentatives de suicide au cours de la vie a été estimée à 10,8 % pour les femmes homosexuelles et à 10,2 % pour les femmes bisexuelles, contre 4,9 % pour les hétérosexuelles. Dans le cas des hommes, les estimations étaient de 12,5 % pour les homosexuels et 10,1 % pour les bisexuels, contre 2,8 % pour les hétérosexuels. » Enfin un chiffre ! Nous pouvons remercier François Beck et Marie-Ange Schiltz, qui ont conçu l’enquête, pour leur méticulosité.

C’est là le seul chiffre sur les bi relaté par ce rapport 2012. Ce n’est pas rien, mais c’est terriblement maigre.

Quels chiffres aurait-on pu attendre, et lesquels faudrait-il trouver dans un prochain rapport ? Il y a énormément d’autres façons possibles de connaître la population bi, ses problèmes et les discriminations dont elle est victime, comme le Bisexual Report au Royaume-Uni en a donné l’exemple il y a trois mois. Encore faut-il effectuer le travail de fond nécessaire sur le calibrage des enquêtes, des sondages et des statistiques. Bien sûr, SOS Homophobie n’a pas les moyens de mener toutes ces enquêtes. Mais il y a aussi des choses tout à fait à la portée de l’association. Pourquoi, par exemple, avoir décidé de regrouper dans un même chiffre le nombre de témoignages de femmes lesbiennes et bisexuelles, et les avoir tous classés dans « Lesbophobie » ? Ce choix de regroupement rend invisibles les femmes bisexuelles victimes de discriminations en empêchant de connaître la proportion précise de femmes bisexuelles parmi les victimes. (Accessoirement, je serais curieux de savoir s’il s’agissait de lesbophobie dans tous les cas, et pas parfois de biphobie.) Plus généralement, une présentation des proportions du nombre de victimes par orientation sexuelle déclarée, quand elle est connue, aurait été pleinement à sa place en page 17 dans la typologie générale des cas de LGBTphobie recensés, et aurait permis de connaître le nombre de bi parmi les victimes. Cette statistique figurait dans au moins certains des rapports précédents : je ne comprends pas pourquoi elle a disparu (mais il y a peut-être une bonne raison).

En dehors des chiffres, il n’y a dans ce rapport 2012 aucune manifestation de biphobie identifiée comme telle, qu’il s’agisse de témoignages ou du bilan de l’année écoulée. La biphobie n’existerait-elle plus ? SOS Homophobie n’a-t-elle pas eu de témoignages ? Manque-t-elle de données ? N’a-t-elle simplement pas eu l’idée d’inclure un exemple représentatif de la biphobie dans le rapport de cette année ? Je ne saurais le dire. Mais des manifestations de biphobie, moi, j’en entends parler souvent sur Internet, et l’année 2011 en a connu son lot. Encore faut-il prendre la peine d’y prêter attention.

À côté de ces manques criants, les clichés sur la bisexualité font une apparition dans le rapport de SOS Homophobie, ce qui est un comble. En page 89, la page « La parole à… Sébastien Carpentier » est l’occasion d’un superbe cliché psychanalytique sur la bisexualité, puisque l’homophobie est analysée comme une réaction d’angoisse face à « la bisexualité fondamentale de l’être humain ». On sait combien les associations bi luttent contre cette conception freudienne de la « bisexualité innée » qui aboutit au mythe d’une bisexualité originelle, conception plus que douteuse qui cohabite dans l’harmonie la plus paradoxale avec la négation de la bisexualité en tant qu’orientation sexuelle de plein droit. Au moins les propos de Sébastien Carpentier ne sont-ils pas présentés comme étant l’avis collectif de l’association. Mais enfin ça fait bizarre.

 Je dois préciser, en terminant ce relevé, que je n’ai naturellement pas encore lu in extenso les 174 pages du rapport : j’ai effectué un feuilletage détaillé et plusieurs recherches de mots-clés (« bisex » et « biphobie »). Il est possible que je sois passé à côté de quelque chose, par exemple un témoignage sur une manifestation de biphobie où ne figurerait ni le mot « bisexuel » ou « bisexualité » ni le mot « biphobie ». Mais un tel témoignage ne serait pas très visible pour les lecteurs et lectrices bi qui chercheraient ce genre d’information dans le rapport, ce qui ne serait pas bon signe pour la clarté et la practicité dudit rapport…

En un mot, le Rapport sur l’homophobie 2012 témoigne d’une invisibilité persistante des bisexuel-le-s et des manifestations de biphobie, y compris au sein des travaux d’une association comme SOS Homophobie. En dehors de sa définition, la biphobie n’est pas réellement prise en compte dans ce rapport, et les lecteurs n’y trouveront pratiquement rien sur les problèmes des bisexuel-le-s considérés en tant qu’orientation sexuelle/sentimentale à part entière.

Et dans les précédents rapports ?

La curiosité m’a poussé à consulter les rapports des années précédentes, éminemment pratiques puisque disponibles en ligne depuis 2003, afin de voir comment les bi et la biphobie y étaient abordés. Je vous donne le détail pour chaque année, à lire si cela vous intéresse, mais, si vous n’avez pas le temps, vous pouvez directement sauter au dernier paragraphe pour un bilan général.

Précaution préalable : pour ces anciens rapports, il faut veiller à ne pas tomber dans l’anachronisme. S’il est vrai que SOS Homophobie se devait depuis le début de prendre en compte les bisexuels dans ses rapports, le concept de biphobie, en revanche, n’a émergé que très récemment : pour autant que je le sache, son premier emploi dans une publication grand public remonte à l’article « Biphobie » rédigé par Catherine Deschamps dans le Dictionnaire de l’homophobie, paru aux Presses universitaires de France en… 2003. De toute façon, les rapports des années précédentes ne sont pas disponibles en ligne et je n’y ai pas eu accès sous forme papier, alors nous partirons de 2003.

Le rapport 2003  (ici en pdf) mentionne les bi aux côtés des homos et des trans dans des énumérations (pages 11 et 21). Mais les bi sont aussi présents dans le détail des témoignages. Dans les statistiques générales de l’association (page 21) on voit que sur les 398 personnes ayant contacté l’association par téléphone en 2002, huit se déclaraient bisexuelles (pour 338 personnes homosexuelles, 16 hétérosexuelles et 36 d’orientation inconnue). En page 62, on lit que, sur les 93 femmes ayant appelé l’association, deux se déclaraient bi (contre 56 lesbiennes, 12 hétéros et 22 d’orientation inconnue).

La revue de presse est tout aussi intéressante : en page 105, il est question d’articles parus dans Le Monde le 30 juin 200, dont l’un consacré aux revendications des bi et des trans – un point plutôt positif, a priori. Si le mot « biphobie » n’apparaît jamais dans le rapport, on voit que, en termes d’informations, il y a plus d’informations statistiques sur le nombre de bi victimes de discriminations que dans le rapport 2012 où le mot « biphobie » est partout.

Le rapport 2004 (ici en pdf), bien que ne contenant pas non plus le mot « biphobie », contient lui aussi pas mal de données précises sur les manifestations de biphobie relevées par l’association pour l’année 2003. La partie consacrée aux sites Internet est instructive : en page 17, il est question du site « Catholique et royaliste » qui publie alors un article LGBTphobe contre une manifestation où défilent des lesbiennes, des gays, des trans et des bi. En page 19, l’association dénonce le site Citeok.com, où figurait alors la recommandation suivante : « Ne seront pas acceptées les annonces à caractère homosexuel, couple, bisexuel, sm… » En revanche, le site Doctissimo fait l’objet d’un paragraphe élogieux qui mentionne son forum consacré à l’homosexualité et à la bisexualité (ladite bisexualité est ajoutée entre parenthèses).

En page 33, le très intéressant relevé de réactions d’élèves du secondaire lors d’une intervention de l’association dans un lycée de Seine-Saint-Denis montre le cliché sur les femmes bi rapporté par un(e ?) élève : « C’est plus facile de voir les lesbiennes que les homosexuels. Les femmes bisexuelles c’est bien. » (Pourquoi ? On ne le saura jamais…)

Tout aussi intéressante est la partie consacrée à l’homophobie dans la vie quotidienne : on y trouve un témoignage d’un homme bi : « Un homme, bisexuel marié, témoigne de ces peurs à la suite du chantage dont il est victime par un ancien amant. » Le témoignage est malheureusement regroupé dans un paragraphe « L’homophobie dans les lieux publics », alors qu’un tel témoignage intéresse au premier chef les hommes et les femmes bi qui risquent encore plus d’être victimes du même genre de manipulations !

Le rapport 2005 (ici en pdf) contient un peu moins de choses. En page 64, dans l’analyse des formes de l’homophobie, est rapporté un propos violemment LGBTphobe d’ un internaute qui en a contre « les homosexuels, lesbiennes, et bisexuels et personnes utilisant des accessoires » (on voit qu’aux yeux de cet internaute les bi sont regroupés dans un vaste fourre-tout de personnes anormales, qu’il voudrait « exterminer »). En page 92 est rapportée une enquête sur le suicide chez les homosexuels qui… regroupe les homos et les bi :

« Ces appels au secours font écho aux données connues sur la prévalence du suicide chez les jeunes homosexuels, et notamment l’enquête réalisée par Marc Shelly, médecin en santé publique à l’hôpital Fernand-Widal, à Paris, et David Moreau, ingénieur de recherche à l’association de prévention Aremedia. Leurs travaux, cités le 4 mars 2005 par le quotidien Libération, montrent que la probabilité qu’un homosexuel ou un bisexuel se suicide est treize fois supérieur à celle qu’un hétéro le fasse. »

Pas de chiffres distincts pour les deux populations : les bi sont en situation de « satellites ». On voit que sept ans après, les choses ne changent qu’avec une lenteur désespérante, puisqu’on commence tout juste à s’aviser qu’il pourrait être utile d’avoir des chiffres spécifiquement sur les bi.

Le rapport 2006 (ici en pdf) voit l’arrivée du mot « biphobie » aux côtés de « transphobie », en page 11. (la phrase de définition a été reprise depuis dans les rapports suivants). Les résultats de l’enquête de Marc Shelly et David Moreau, présents dans le rapport 2005, sont brièvement rappelés en page 39 dans la chronologie de l’année passée, puis à plusieurs reprises dans la suite du rapport (pages 131 et 138).

La partie consacrée au mal de vivre contient, en page 124, le témoignage d’un lycéen bisexuel qu’un camarade tente apparemment de forcer à avoir des rapports avec plusieurs personnes. En page 125, c’est une jeune bisexuelle de 24 ans qui exprime son malaise et ses problèmes de dépression après avoir été rejetée par une copine dont elle était tombée amoureuse : elle « se sent mal vis à vis de son identité sexuelle » – mais encore une fois, son témoignage de bisexuelle est regroupé avec ceux d’homosexuels, ce qui n’aide pas vraiment les lecteurs et lectrices bi à se sentir bien vis à vis de leur identité sexuelle, toujours pas prise en compte à part entière…

Aux pages 221-224, le texte de la résolution du Parlement européen sur l’homophobie en Europe, votée à Strasbourg le 16 janvier 2006, rappelle l’avancée majeure que constitue alors cette condamnation de toutes les formes de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle, et où les personnes bisexuelles ne sont pas oubliées.

Le rapport 2007 (ici en pdf) montre que les communiqués de SOS Homophobie (récapitulés dans le rapport, comme chaque année) incluent à présent systématiquement les personnes bisexuelles, mentionnées dans des énumérations des personnes à protéger des discriminations (une lettre ouverte à Libération sur des paroles de chansons violemment LGBTphobes en page 124, un communiqué contre l’obscurantisme religieux en Iran en page 139, et un autre contre les violences occasionnées par la gay-pride à Moscou, en page 190). Mais aucun témoignage ni aucun chiffre sur les bi victimes de discrimination. La biphobie n’est abordée que dans sa définition au début du rapport (identique à celle des rapports précédents).

Le rapport 2008 (ici en pdf) contient plusieurs témoignages de personnes bisexuelles. Mais là encore, il faut les chercher un peu partout. Dans la partie sur l’homophobie dans les commerces et services figure le témoignage d’un couple de bisexuels : « Ainsi, Pierre et son ami, tous deux mariés, ne souhaitent pas porter plainte pour ne pas dévoiler leur bisexualité alors qu’ils sont victimes d’un refus de location dans un hôtel. »La partie sur l’homophobie dans la police et la gendarmerie contient le témoignage détaillé d’un policier bisexuel de 39 ans aux pages 116-117. La partie dévolue au domaine de la santé est tout aussi instructive, avec le témoignage d’une jeune trentenaire bisexuelle confrontée à un psy homophobe, en page 156. C’est le Rapport annuel sur l’homophobie qui contient le plus de témoignages de victimes se déclarant bi. Certes, elles sont visiblement confrontées à des manifestations d’homophobie plus qu’à des propos spécifiquement biphobes, mais étant donnée l’invisibilité des bi, ça n’est guère surprenant.

La partie consacrée au taux de suicide dans la population LGBT rappelle ou ajoute, en page 98, les résultats de plusieurs enquêtes. Il y a une information nouvelle incluant les bi : « L’étude de Gary Remafedi (1998) arrivait à des résultats plus alarmants encore : 28 % des répondants homosexuels ou bisexuels de cette étude rapportent avoir fait une tentative de suicide. » Mais pour une information nouvelle, on a droit à une information ancienne tronquée, puisque les résultats de l’enquête de Marc Shelly et David Moreau, qui sont à nouveau rappelés, ne mentionnent plus que les homosexuels…

Des témoignages de bi, donc, mais aucun chiffre spécifique à la population bi, reflet des manques persistants des enquêtes menées alors. Et là encore, rien de neuf sur la biphobie dans ce rapport, en dehors de sa définition au début du document (identique à celle des rapports précédents).

Le rapport 2009 (ici en pdf) est étonnamment vide. Seul point positif : le questionnaire « Contre l’homophobie, je m’engage » (page 21) laisse la liberté aux personnes interrogées de s’identifier comme bisexuelles.  En dehors de ça, à l’exception de la même phrase sur la biphobie, il n’y a ni témoignage de bi, ni chiffres sur les personnes bisexuelles. Le recul est complet.

Dans le rapport 2010 (ici en pdf). Les bi sont systématiquement mentionnés dans les énumérations des minorités sexuelles un peu partout dans les propos généraux et les communiqués. Voyons maintenant le fond. C’est mieux que l’année précédente. Le chapitre sur les agressions physiques prend en compte les bisexuel-le-s dans ses statistiques : à la page 22, les chiffres par orientation sexuelle montrent que 1% des personnes agressées se définissent comme bi. Et on trouve à nouveau des témoignages : en page 48, celui de Kevin, 15 ans, harcelé dans son établissement scolaire après avoir révélé sa bisexualité à un ami qui l’attirait ; en page 56, celui de Richard, 42 ans, victime d’acharnement judiciaire et d’une assimilation de sa bisexualité à de la pédophilie.

Le rapport 2011 (ici en pdf) vaut encore une fois surtout par les témoignages et propos qu’il rapporte. La partie sur les LGBTphobies sur Internet montre, en page 56, les propos transphobes d’un bisexuel sur Internet (décidément la preuve qu’aucune minorité n’est immunisée aux haines ou aux préjugés…). Dans le chapitre sur le mal de vivre, on trouve, mis en valeur comme « focus » en page 73, le témoignage d’un lycéen bisexuel confronté aux réactions négatives de son entourage et de sa famille :

« Antoine, 21 ans, témoigne des difficultés qu’il a eues pour s’affirmer bisexuel. L’école ne l’a pas aidé car elle est le lieu où se mettent en acte les pensées homophobes transmises par la famille : « Dans la cour de récré du collège, les gars se traitaient de PD, de tapettes (…), difficile d’assumer une attirance pour les garçons quand on se rend compte que ladite attirance est sujette à raillerie et à l’origine d’insultes assez violentes. » Antoine a pris conscience à 18 ans que sa bisexualité n’était pas, comme les préjugés peuvent le montrer, une simple histoire de sexualité, mais que cela touchait les sentiments. Suite à sa rencontre avec un autre homme, il a mesuré l’impact de l’absence de modèles positifs. Antoine a refusé toute relation durable car c’était affirmer sa bisexualité. Il a préféré les histoires d’un soir, et a nié ainsi la possibilité que son orientation sexuelle implique des sentiments véritables. Il témoigne des différentes réactions face à l’affirmation de sa sexualité : toutes sont blessantes, dit-il, même les plus positives, car dans un sens elles l’amènent à se sentir différent. Aujourd’hui encore, il redoute de le dire à ses parents. Il a peur de leur réaction et se sent blessé de leur difficulté à l’envisager d’eux-mêmes. Les remarques allant toujours dans le sens d’une vision hétérosexuelle (« quand est ce que tu ramènes une copine à la maison ? ») blessent Antoine, qui comprend que sans coming out, ses parents ne chercheront pas à considérer leur fils autrement qu’hétérosexuel. »

À côté de ça, plus la moindre statistique sur le nombre de bisexuel-le-s parmi les personnes ayant contacté l’association, et toujours rien sur la biphobie en tant que telle, en dehors de la désormais acquise définition en début de document.

Conclusion : un traitement aléatoire et trahissant un manque de vrais moyens

Ce qui ressort de ce survol général des anciens rapports, c’est le caractère étonnamment aléatoire de la part réservée aux bisexuels d’une année sur l’autre. C’est particulièrement frappant en ce qui concerne les chiffres : si SOS Homophobie semble avoir mis au point avec le temps des techniques bien rôdées permettant de cerner précisément les différentes formes d’homophobie, leurs contextes et les personnes qui en sont victimes, et si ces techniques ont été récemment appliquées aussi à la lesbophobie et à la transphobie, la prise en compte la plus basique de la population bisexuelle parmi les victimes ne paraît toujours pas acquise. D’une année sur l’autre, on a des chiffres ou non.

Pour les témoignages, ce n’est pas la même chose, car tout dépend évidemment des appels et des messages reçus par l’association dans l’année écoulée. Mais on peut se demander si tout est fait pour cibler les bi autant que les autres populations. De fait, des bi qui ont des problèmes, il y en a : les témoignages ne laissent aucun doute là-dessus.

Mais ce qui me frappe le plus dans ce parcours, c’est la façon dont la biphobie en tant que telle n’a, au fond, pas du tout été prise en compte par ces rapports. Certes, le mot est apparu en 2006, mais c’est à se demander si l’association elle-même a vraiment compris ce qu’il désigne. Six ans après, il n’y a toujours pas de section ou même de paragraphe consacré spécifiquement aux manifestations de biphobie ou aux témoignages de biphobie. On se contente de copier-coller la définition d’un rapport à l’autre, et d’ajouter « bisexuel-le-s » ou « biphobie » dans les énumérations des minorités LGBT. Bref, on se paye de mots et de symboles, mais le vrai travail, l’étude de la biphobie comme phénomène spécifique, n’est toujours pas commencé !

Le plus étonnant, c’est que les anciens rapports sont parfois plus riches et plus précis que les récents, par exemple en ce qui concerne les manifestations de biphobie sur Internet. Dans la communauté bi, c’est une vérité quotidienne que ces discriminations biphobes, sur les forums gays et lesbiens ou les sites de rencontre par exemple, de même que les clichés véhiculés par les articles de journaux et l’imagerie du « bisexuel chic ». Mais il n’y a rien dans les rapports. Officiellement, ça n’existe pas.

Est-ce si dérangeant de parler de cette biphobie ordinaire si répandue au sein même de la communauté LGBT ?

Contre l’occultation des bi et la biphobie, tout reste à faire

Je suis mécontent et triste de parvenir à un tel constat. Je me garde bien d’en tirer une conclusion unilatérale : j’ai la plus grande admiration pour les activités de l’association SOS Homophobie, et je n’aurais pas une seconde l’idée de lui faire un procès d’intention. Mais en termes de résultats, le constat est accablant. La population bi n’est pas assez prise en compte dans ce rapport, les types de problème qu’elle rencontre ne sont pratiquement pas représentés, et les bi restent noyés au sein de statistiques générales, ce qui ne permet même pas d’évaluer la nature et la fréquence de ces problèmes.

Or, un résultat si pauvre trahit un manque de réel investissement, en termes de calibrage des statistiques et des enquêtes et en termes d’études de la vie quotidienne des bi et des manifestations de la biphobie en tant que phénomène spécifique, distinct de l’homophobie par exemple. Il est important de changer cela, et cela nécessite un travail de fond.

La part la plus compliquée de ce travail – mais aussi celle que SOS Homophobie est la plus à même d’accomplir – consistera à recueillir des témoignages sur la biphobie. Entreprise ardue à laquelle l’association Bi’cause vient de s’attaquer en lançant un appel à témoignages de son côté, mais il est tout aussi important que SOS Homophobie emploie les structures, les volontaires, les moyens et le savoir-faire dont elle dispose déjà pour aider à cette tâche. Je crois d’ailleurs avoir lu que des travaux communs entre Bi’cause et SOS Homophobie sont aussi prévus.

La biphobie existe, tous les bi en parlent, mais au moment de le leur faire dire aux associations qui peuvent s’en occuper, c’est une autre paire de manches. L’esprit communautaire n’est sans doute pas le même chez les bi que chez les homos, et les formes que revêt le rejet des bi sont différentes, souvent plus insidieuses, consistant autant en une occultation de leur existence et en clichés mensongers qu’en rejets brutaux et directs. Mais les dégâts causés par ces rejets existent eux aussi bel et bien, et il est primordial qu’ils ne soient pas occultés aussidans un document aussi important que le Rapport annuel sur l’homophobie.

Je ne peux donc qu’appeler toutes les associations, les associations de personnes bisexuelles comme les associations LGBT généralistes, à redoubler d’attention afin de mieux cerner les problèmes spécifiques aux personnes bisexuelles et de mieux recueillir leurs témoignages, et afin d’obtenir enfin des statistiques permettant de mieux cerner la population bi au sein des victimes de discriminations.

Mais il faut aussi en appeler aux personnes bisexuelles elles-mêmes, qui ne semblent pas avoir encore assez le réflexe de s’adresser aux associations comme SOS Homophobie ou Bi’cause lorsqu’elles sont en butte, sur Internet ou ailleurs, à des manifestations de biphobie ou à des propos cousus de clichés. Ne croyez pas qu’on ne peut rien y faire : on peut, mais si vous voulez faire changer les choses, il faut témoigner ! Aucune association ne peut rien faire si les intéressés eux-mêmes ne prennent pas le temps de parler.

En ce 17 mai, je vous souhaite à tou-te-s une bonne Journée internationale de la lutte contre l’homophobie, la transphobie… et la biphobie !

EDIT : voici une mise au point et un complément sur cet article, intégrant des informations qui m’ont été données par des gens de SOS Homophobie et de Bi’cause au cours de la discussion qui a suivi la publication de l’article.

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(1) Sauf que ça ne marche pas à tous les coups. Tenez, en page 13 par exemple, dans « Comment est réalisé le rapport sur l’homophobie ? », il est précisé que « Ce document n’est donc pas le recensement exhaustif de toutes les manifestations homophobes, lesbophobes ou transphobes survenues en 2011″… pas de manifestations de biphobie dans l’énumération, cette fois. Ça me fait bizarre. Ah ben désolé, à force de voir les bi scrupuleusement inclus dans les énumérations là où ça relève de la précaution diplomatique, je m’attendais à nous trouver aussi dans la partie où on parle vraiment du contenu !